La Nuit Etoilée fu
t une revue illustrée rédigée par des artistes, des écrivains et des chercheurs internationaux.
Son regard exigeant et libre parcourait les arts passés et présents,
l'image et le langage,
dans des travaux inédits et de qualité.

Ce blog réunit quelques articles des 7 numéros parus de 2010 à 2012.

samedi 5 février 2011

Art et religion


Johan Barthold Jongkind, Notre-Dame de Paris, huile, 1864 (DR)
Par Eléonore Diane Dupret

Le mot beauté n’est plus ce qui
est directement visé par l’artiste, car la beauté est un mystère, on 
préfère parler de vérité, de justesse dans la manière de faire, dans l’intention. 

L’art est une prière de beauté, quand la charité est prière de
bonté, et la philosophie, une prière de vérité.
Ils sont une élévation de l’âme, de l’esprit, du coeur et du corps vers
quelque chose qui les appelle. L’art est un dépassement, grâce à la dimension de la beauté, comme le religieux l’est grâce à la dimension de Dieu, car il devient pleinement important. L’art est une contemplation en mouvement. Sa soif correspond à cette marque de fabrique, en l’homme de son principe de création, et à l’extérieur de l’homme, de cette force de création qui est encore présente par la soif qu’elle éveille, et c’est pour cela que l’art porte des fruits, car il y a quelque chose qui arrose les racines qui ont besoin d’eau. Il y a une source qui abreuve cette aspiration, cette inspiration. Et cette source peut être infiniment abondante.

Dieu n’est pas nommé en art, on ne le prononce pas, les artistes ne diront pas nécessairement « Dieu » ; ils préfèrent laisser l’intégrité du mystère de ce qu’ils nomment «inspiration » ; et le pape Jean-Paul II ne peut s’empêcher de rappeler ce qui fit l’inspiration même de Dieu : « L’Esprit Saint, “le Souffle” (ruah), est Celui auquel fait déjà allusion le livre de la Genèse : “La terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme et le souffle de Dieu agitait la surface des eaux” (Gn 1,2) ». Et il existe une telle affinité entre les mots : « souffle-expiration » et « inspiration » ! L’Esprit est-il le mystérieux artiste de l’univers ?
Quant à la dimension de la beauté, le mot beauté n’est plus ce qui est directement visé par l’artiste, car la beauté est un mystère, on préfère parler de vérité, de justesse dans la manière de faire, dansl’intention. L’art aussi a ces mystères, la beauté en fait partie, l’«étrange beauté » dont parle Kandinsky – ou Van Gogh, qui fait partie des mystères de l’art que l’on doit respecter, comme le religieux respecte les mystères de Dieu.

Il y a des nuits de la foi comme il y des nuits artistiques, et l’art a une démarche spécifique: il est cette manière de faire selon ses propres procédés, cette manière de façonner, de colorer, d’étirer, de respirer, bref de travailler la matière, qu’elle s’incarne dans le corps de l’artiste comme dans le chant, ou qu’elle soit extérieure comme la sculpture – mais toujours dans le souci de la rendre extérieure, transmissible, matérielle, dans le souci de donner à voir, donner à entendre, donner à penser, donner à être. Car si le résultat de l’art
c’est l’oeuvre, ce qui fait sa qualité intrinsèque, c’est l’intention, la qualité de regard, la qualité d’écoute, de contemplation, réveillée, affûtée, disponible, qui l’a précédée et qui se joue dans l’action en train de se faire. La différence entre la peinture et la danse n’est
qu’apparente : tout est dans le geste, lui-même résultat de cet immense travail.

Tourner les yeux vers son créateur pour le religieux, c’est pour l’artiste, tourner les yeux vers ce qui nous (a) créé, la recherche de l’art est de remonter vers cette essentialité, celle de la philosophie aussi. Mon intuition c’est de me demander si l’art n’est pas un chemin permanent aux frontières de ce qui nous dépasse toujours, que le religieux appelle avec amour : « Dieu dont la face a resplendi et s’est tournée vers nous », a réveillé en nous cette partie divine de l’homme qui est la création. « Toute inspiration authentique renferme en elle-même quelque frémissement de ce “souffle” dont l’Esprit créateur remplissait dès les origines l’oeuvre de la création. En présidant aux mystérieuses lois qui régissent l’univers, le souffle divin de l’Esprit créateur vient à la rencontre du génie de l’homme et stimule sa capacité créatrice. Il le rejoint par une sorte d’illumination intérieure, qui unit l’orientation vers le bien et vers le beau, et qui réveille en lui les énergies de l’esprit et du coeur, le rendant apte à concevoir l’idée et à la mettre en forme dans une oeuvre d’art. On parle alors à juste titre, même si c’est de manière analogique, de “moments de grâce”, car l’être humain a la possibilité de faire une certaine expérience de l’Absolu qui le transcende.»


Texte tiré de La cathédrale Notre-Dame de Paris, une histoire de jazz, autoédition,
21€, décembre 2010.
Plus d'informations ici.

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