La Nuit Etoilée fu
t une revue illustrée rédigée par des artistes, des écrivains et des chercheurs internationaux.
Son regard exigeant et libre parcourait les arts passés et présents,
l'image et le langage,
dans des travaux inédits et de qualité.

Ce blog réunit quelques articles des 7 numéros parus de 2010 à 2012.

mercredi 15 décembre 2010

Pourquoi la Nuit Etoilée?

Editorial du n° 2, par Dorothée Sers-Hermann

Dans cette nuit, quelle est l’orientation idéale ? À partir de quoi parler, quelles sont les bases d’une réflexion critique, qui soit complètement libre mais tout de même engagée ? Voilà les questions qui se posent dès lors que nous commençons à penser, à écrire pour être lus.
Pour réfléchir sur les sujets qui nous occupent, il faut obligatoirement se mettre en avant, se mettre en jeu. C’est le risque que nous prenons lors même que nous exerçons notre pensée : partir de quelque part, d’une théorie, afin de dérouler le fil des idées qui en découlent.
Ce point de départ n’est pas un dogme, mais plutôt un parti-pris, un être en avant au lieu d’un être-là, pour reprendre l’analyse de Heidegger. Notre être est fait de passé, de présent et de futur, nous avons donc la possibilité d’embrasser, avec tout le recul nécessaire, le temps.
Avoir des idées, être véritablement dans le dialogue et dans l’échange est devenu urgent. Sans haine, il faut accepter que ces échanges ne soient pas parfaits, car ils émanent d’êtres imparfaits. Avoir l’idée de la Chine est nécessaire pour aller en Chine ; cependant le voyage réel nous apprendra que notre tête était farcie de clichés. Peu importe, puisque le voyage, déclenché pourtant sur une théorie, trouve un face-à-face et par conséquent entraîne la véritable découverte.
L’étoile, dans toutes les traditions antiques, est métaphysique : elle montre l’au-delà, ce vers quoi l’homme se sent aspiré sans pourtant pouvoir le connaître. Elle est la limite de la connaissance, tant ses sœurs sont nombreuses et inquantifiables, et l’image de la beauté. Dans la Bible, elle est annonciatrice du Salut et indique le chemin vers Dieu. Plus près de nous, c’est aussi « l’étoile qui danse »[1] de Nietzche, avec laquelle joue le créateur débarrassé de ses fardeaux ; enfin, nous avons tous à l’esprit le merveilleux tableau éponyme de Van Gogh – une peinture de voyant. Or, en tant qu’artistes, nous voulons voir l’étoile… et si possible danser avec elle.
C’est pourquoi nous avons choisi ce titre de La Nuit Étoilée. La nuit étoilée, c’est avoir l’intuition, dans un ciel sombre et comme désespéré de son opacité – nuit de la culture, nuit du profit économique, nuit de la fin des utopies –, des étoiles que nous cherchons à découvrir, à sentir. C’est vouloir monter vers elles, les voir face-à-face, dans la vérité. Sans avoir peur.
Le politiquement correct de notre époque, qui se trouve dans la frayeur, dans l’intuition (réelle !) que l’idée de l’étoile est imparfaite, voudrait nous empêcher d’exprimer tout simplement cette idée de l’étoile et de la confronter à la réalité, ou plus banalement, d’échanger autour de nos idées de l’étoile. Chacun est infirme et personne ne peut s’exprimer, puisque personne ne sait vraiment ce qu’il faut dire – c’est exactement la porte ouverte à un consensus muet, auquel tous obéissent superficiellement tout en le critiquant intérieurement.
Pour aller vers l’étoile, nous construisons l’échelle. Elle peut être faite de corde ou de bois, partir de la maison ou du cœur, venir de tel pays ou être dans tel livre. Mais faire cette échelle, c’est avoir l’idée de l’étoile, et prendre parti d’essayer de la découvrir, jusqu’au bout de la nuit.
(Editorial du numéro 2 de la Nuit Etoilée, octobre 2010)

[1] Voir Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, § 5, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1992, p. 26.

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