La Nuit Etoilée fu
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Ce blog réunit quelques articles des 7 numéros parus de 2010 à 2012.

samedi 5 mars 2011

Facebook, la réponse à quoi ?

©Ulla Rousse, 2011
   par Laurent Bourrel




A travers une analyse de l'homme comme acteur virtuel, Laurent Bourrel décrit l'évolution des rapports sociaux et leur impact sur la formation de l'individu. Entre informations superficielles et réel impact politique, à quel besoin répondent les sites communautaires?


Le site communautaire Facebook a connu une démocratisation fulgurante en seulement six ans. Il a su conquérir toutes les plateformes multimédias comme les tablettes ou les téléphones portables. Aujourd’hui, il est également devenu un support marketing quasiment incontournable. L’essor de ce site participe d’un phénomène plus vaste lié à l’évolution de l’ère de la communication qui a vu l’internet s’épanouir. À ce propos, les fournisseurs d’accès, l’industrie de la téléphonie ont maintenant un nouveau concept marketing, la vie numérique qui considère l’échange, la consultation ou la publication de contenu numérique comme un besoin nécessitant qu’on lui consacre un usage quotidien. Ce concept confirme le fait que l’homme est désormais nécessairement retranché devant un écran de façon quotidienne et est un acteur, à sa manière, d’un monde virtuel. Facebook en est l’un des vecteurs les plus intéressants. Le site a incontestablement créé de nouveaux modes de communication en créant une interface unique qui a révolutionné le secteur. Il est naturel de s’interroger sur les conséquences de l’engouement que lui portent plus de 500 millions d’utilisateurs.




Amis sur Facebook, DR
Les rapports sociaux
Une communauté se définit comme un groupe social partageant des intérêts communs. La vertu première d’un site communautaire est donc sociale. Dans l’ère de la communication dans laquelle nous sommes, Facebook fait figure de formidable instrument pour élargir ou préserver son réseau. À l’heure du nomadisme qui selon Jacques Attali inclut tout homme, marchandise ou capitaux dans la mobilité, Facebook répond au besoin d’être constamment connecté à sa tribu.
La notion de site communautaire pose aussi la question du partage. Au-delà d’être un site qui rassemble, c’est aussi une fenêtre d’expression dans laquelle l’internaute a la parole. Alors que la blogosphère se déployait, Facebook a considérablement étendu la publication de contenu au grand public en la lui rendant beaucoup plus accessible. Ce partage de contenu est le reflet d’une intimité que l’on souhaite partager. Or Facebook dépasse le simple cadre du blog en offrant des fonctionnalités comme la publication de contenu par un ami sur sa propre page ou encore la possibilité de commenter du contenu publié. Parallèlement, la liberté d’échanger a un coût car le fait que chaque profil personnel comporte des contenus de diverses provenance appelle à la vigilance. Les dérives liées aux pratiques douteuses des recruteurs qui se servaient de Facebook comme d’un complément de sélection en sont l’une des illustrations. Ainsi, comme dans toute communauté, il existe sur Facebook une frontière entre la vie publique que l’on partage et la vie privée. Le site a donc instauré une possibilité de filtrer le contenu publié en permettant à l’usager de définir plusieurs cercles de confidentialité.
Utilisé par des millions de personnes, Facebook est devenu un outil de communication à part entière. En échange d’une liberté d’expression nouvelle et créative, ils en ont accepté les règles, adopté son ergonomie particulière. En permettant de dévoiler de façon inédite son intimité, elle l’a modifiée en agissant sur elle. Il est donc intéressant de se poser la question de la place de l’individu dans cette communauté.





L’individu
Toute communauté en tant qu’organisation définit une place à l’individu.
Facebook repose sur un idéal de transparence, comme si une communauté était une tour de verre avec des cloisons translucides. On peut émettre l’idée que tout individu s’y distingue par son activité de publication, qui est accessible à tous. Celle-ci crée des rapports entres les usagers et les intègre plus ou mois volontairement, mais sûrement, dans des interactions où ils sont partie prenante. Ainsi, la création et « l’entretien » d’un profil personnel, en posant la question de ce que l’on veut dévoiler de soi, pose indirectement celle de l’identité.
Ainsi, un profil sur Facebook est en quelque sorte un miroir valorisant et permet une quête de séduction voire d’auto-séduction. La liberté de publication peut conduire à se dévoiler dans une optique d’affirmation de soi. De façon plus inquiétante et pernicieuse, elle peut aussi conduire à s’exhiber. On peut supposer qu’à défaut d’exister socialement, on soit mené à chercher une compensation dans un site communautaire en n’existant que par lui. Ainsi, on peut avoir une activité intense sur Facebook sans que notre vie en devienne plus riche. Que penser d’habitudes consistant à poster ses moindres faits et gestes au cours d’une journée ?
Facebook en tant qu’outil de socialisation joue également un rôle dans la conception particulière que l’individu se fait de lui-même. En permettant de délivrer une caution négative ou positive sur tel ou tel contenu déposé par tel utilisateur, il permet un jugement extérieur qui rejaillit sur l’individu qui l’a posté. Ainsi, l’estime de soi peut entrer dans un processus normatif lié à Facebook. Ce système peut être considéré comme un moyen séduisant de se positionner socialement. Or, si cette activité de socialisation se suffit à elle-même, le sens critique de l’individu est mis en péril.
Ainsi, Facebook institutionnalise par le système des commentaires l’idée que tout peut intéresser tous les membres d’une communauté. Instaurant le règne du commérage, il sublime l’individu en lui donnant le sentiment de s’adresser à une foule. Extension de l’individu, il peut aussi dangereusement l’enfermer dans une réalité trompeuse. L’impact de Facebook sur l’intimité s’exprime, nous l’avons vu, par l’importance de l’image de soi à laquelle renvoie un profil. Or, on peut se demander comment cette importance croissante de l’image peut avoir des incidences sur le corps social.
La politique
Facebook peut être conçu comme un média en ce sens qu’il propose de mettre en ligne tout type de contenu. En effet, comme un média classique, Facebook relaie un panel très large d’informations. La frontière est par exemple parfois ténue entre une page Facebook et un site institutionnel dont le rôle est d’informer sur une entreprise. Le site communautaire offre en plus la proximité liée à l’interactivité. Facebook permet notamment d’augmenter le capital sympathie d’une enseigne en postant un commentaire du type « j’aime ». D’autre part, comme bien des sites, Facebook commercialise les données concernant ses utilisateurs. Face à l’enjeu de la protection des informations personnelles le site a tardivement réglementé leur publication afin de protéger les utilisateurs. Cette protection contre l’exposition de publicité ciblée n’est pas complète, car le site propose aux s’annonceurs de s’adresser aux utilisateurs en fonction du sexe, de l’âge, de la situation matrimoniale.
Facebook ne se contente pas d’être le relais d’informations commerciales. Le site communautaire peut être conçu comme un espace stratégique d’expression dès lors que chacun est libre d’exprimer ses opinions. Les politiciens ont désormais tous adopté ce moyen moderne leur permettant d’évoquer leur actualité dans un idéal de transparence. De la même façon, les internautes se sont saisis de cet outil pour pouvoir parler librement de politique ou de religion. Dans certains pays où les médias d’informations sont muselés, les réseaux communautaires sont l’un des derniers refuges de la libre expression. Cela a pu créer des conséquences inattendues, en particulier lors des événements qui ont vu se soulever les Tunisiens puis les Égyptiens contre le pouvoir en place. Facebook ou Twitter ont permis au peuple de se rassembler lors de manifestions massives. Ils sont devenus les moyens modernes de l’engagement citoyen, ce qu’illustrent ces phénomènes de masse. Alors que les moyens classiques du militantisme peinent à endiguer l’érosion de l’engagement, les sites communautaires offrent une réponse au désinvestissement des populations, notamment celle des jeunes, à l’égard des enjeux politiques. L’appel à retirer tout l’argent de son compte en banque par l’ancien footballeur Éric Cantona, suivi par des milliers d’internautes, en est l’un des nombreux exemples.
Facebook est une illustration remarquable de notre société marquée par les réseaux. Face à la percée de ces sites dans tous les milieux, on peut se poser la question des vertus d’intégration mais aussi d’exclusion des communautés d’utilisateurs.
D’autre part, l’institutionnalisation des commentaires sur Facebook pourrait influer sur la manière de se percevoir soi-même en banalisant l’exposition de son intimité via un profil et en incitant les utilisateurs à se juger mutuellement. À travers ses fonctionnalités originales, comme le mur d’une page personnelle sur lequel on peut écrire, Facebook s’inscrit parfaitement dans nos sociétés modernes où l’image compte beaucoup. Ainsi, cette interface particulière nous conditionne. Le fait que ce site n’ait pas de véritable concurrent est d’ailleurs étonnant.
Enfin Facebook, et c’est là un des usages apparus de façon surprenante, participe au renouveau de la conscience politique en permettant d’organiser des mouvements citoyens.
Ainsi ce site communautaire, né dans un campus étudiant et dont le succès était inattendu, se manifeste de manière multiforme et est progressivement investi de bien des façons. 
Laurent Bourrel

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