La Nuit Etoilée fu
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Ce blog réunit quelques articles des 7 numéros parus de 2010 à 2012.

samedi 1 janvier 2011

Tout est-il vain? Regards sur le livre de Qohélet

Clock, Ulla Rousse 2010 (DR)
Par Philippe Hébert


"Vanité des vanités, tout n'est que vanité..." Le livre de Qohelet est connu pour sa description de la fragilité de la condition humaine. Au-delà d'un regard cynique, c'est bien plutôt une démarche vers la sagesse que l'auteur du Qohélet entreprend, faisant de la joie un des thèmes les plus importants de son écrit.

« Vanité des vanités, tout est vanité. » (Qo 1,2) C'est par ces paroles bien connues que commence le livre de  Qohelet, également appelé l'Ecclésiaste, en grec, qui signifie « l'homme de l'assemblée ». Ce nom est celui par lequel se désigne lui-même l'auteur de ce livre particulier de l'Ancien Testament. L'homme est un laïc, sans doute un riche aristocrate de Jérusalem, si l'on en juge d'après la manière dont il considère le monde. Le livre, lui, appartient au corpus des écrits sapientiaux et daterait de 300 à 250 avant JC.

Ce livre occupe une place singulière dans les Ecritures. D'abord, contrairement à d'autres écrits de sagesse, il ne parle jamais du Temple et ne semble pas évoquer la perspective d'une quelconque résurrection. Il n'y a pas d'espérance après la tombe. Mais surtout, fait extrêmement singulier, Qohelet ne se réfère jamais à Moïse, à l'histoire du Salut ou à la Loi. Au fond, son approche est plus philosophique que théologique. Sur le plan de la méthode, Qohelet reprend d'ailleurs les étapes traditionnelles de la réflexion sapientielle : observer le monde, réfléchir pour en trouver le sens et en tirer une leçon. Nous avons ici une réévaluation de la sagesse traditionnelle juive à partir de la pensée grecque, avec une influence notable des philosophes sceptiques. L'auteur s'efforce de présenter les vérités de la foi juive par un autre biais ; il aborde par exemple le thème de la création sous un angle purement rationnel.

La vérité existe mais personne ne peut l'atteindre (cf. Qo 7,23). Le sage qui prétend la détenir est un menteur (cf. Qo 8,16-17). Il n'est de connaissance qu'expérimentale. Ce qui dure, c'est la terre. L'homme, lui, est très éphémère et ses actions sont sans valeur. La vanité, dont il est question si fréquemment dans le livre de Qohelet, signifie que tout est vent, souffle – c'est le sens du mot vanité en hébreu – c'est à dire sans consistance. Tout ce qui fait la vie des hommes n'est que la répétition de ce qu'ont vécues les générations précédentes. « Il n'y a pas de profit sous le soleil » (Qo 2,11). Tout ce qui a fait la vie des hommes sous le soleil (durant les jours de leur vie terrestre), tout cela sera oublié et donc vain. La recherche du profit par le travail est particulièrement stigmatisée, car l'homme ne vit pas assez longtemps pour profiter du fruit de son travail.

Le thème de la joie est paradoxalement le plus important du livre. La joie vient s'opposer à la logique travail/profit. Elle seule vaut la peine de vivre et propose une voie autre que l'impasse de la vanité qui mène au désespoir. On retrouve sept refrains identiques qui structurent le livre en insistant sur la joie[1]. Mais cette joie est dans l'instant présent… et elle passe. La joie de la connaissance de Dieu, la vision béatifique de Dieu qui fait le bonheur des élus selon saint Thomas d'Aquin, cette joie-là, comme de celle de l'acquisition de la sagesse, est inaccessible selon Qohelet. Dieu est incompréhensible. L'homme est contraint de se débrouiller par lui-même. Toute chose est adaptée à son temps par Dieu, mais l'homme est incapable de comprendre l'ensemble du plan de Dieu. Il lui faut seulement comprendre que toute chose que Dieu fait en son temps est bonne et s'efforcer d'y trouver la joie. Avec cette joie, la crainte de Dieu est la deuxième attitude que Qohelet recommande. C'est l'affirmation la plus forte du sens religieux de l'homme. Il faut se méfier des grands discours sur le sens de la vie : « Qui sait ce qui convient à l'homme pendant sa vie, tout au long des jours de vanité qu'il passe comme une ombre ? Qui annoncera à l'homme ce qui doit venir après lui sous le soleil ? » (Qo 6,12) La place de l'homme est dans l'humilité, car Dieu seul connaît le sens de toute chose.

« La sagesse est bonne comme un héritage, elle profite à ceux qui voient le soleil (…) J'ai dit : '' je serai sage '', mais c'est hors de ma portée. » (Qo 7,11.23)
« J'ai observé toute l'oeuvre de Dieu. L'homme ne peut découvrir toute l'oeuvre qui se fait sous le soleil ; quoique l'homme se fatigue à chercher, il ne trouve pas. Et même si un sage dit qu'il sait, il ne peut trouver. (Qo 8,17) »

Davantage qu'un livre de révélation sur Dieu, le livre de Qohelet nous révèle l'homme en attente de Dieu. Tout est vain pour l'homme livré à lui-même. S'il ne peut accéder à la sagesse de Dieu, sa vie perd toute consistance. Il en va de même pour l'artiste. S'il ne peut exprimer autre chose que sa propre subjectivité, s'il ne peut témoigner d'un absolu qui le dépasse et donner à voir l'invisible, alors son oeuvre est vaine. Heureusement pour nous, tout ne s'arrête pas à Qohelet.

En Jésus-Christ, la sagesse de Dieu est venue se révéler elle-même aux hommes. Bien plus, par le don de l'Esprit-Saint, l'intelligence des disciples a été renouvelée pour qu'ils puissent entrer dans la connaissance de Dieu ; leur esprit a été accordé à la sagesse de Dieu. Jésus a confirmé la justesse de Qohelet quant à l'inaccessibilité de la sagesse de Dieu pour les hommes : « Personne ne connait le Père, si ce n'est le Fils », dit-il à ses disciples. Mais il ajoute : « et celui à qui le Fils veut bien le révéler. » (Mt 11,27)

Le monde de l'art, comme on l'appelle pompeusement, peut sembler parfois un cortège de vanités fait pour la jouissance des vaniteux. Quoi de plus absurde que de parler d'artistes « reconnus » qui « se vendent bien » ? Reconnus par qui ? Selon quels critères ?

Loin de la logique mercantile et esthétisante de ce bas-monde, il est aussi des artistes authentiquement touchés par la grâce, habités par une vision de la transcendance, et qui mettent leur art au service du témoignage. A l'exemple de Qohelet, ils ont appris à se détacher des vaines réalités de ce monde qui passe. A leur façon, ils sont des prophètes qui témoignent d'une parole qu'ils ont reçue. Et comme chacun sait, si les prophètes n'ont bien souvent pour seul salaire de la part des fils de la terre que mépris et persécutions, ils aident les chercheurs de l'Absolu à avancer dans leur marche et cela fait leur joie...


[1] Qo 2,24 ; 3,12-13 ; 3,22 ; 5,17 ; 8,15 ; 9,7 ; 11,8-9.

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