La Nuit Etoilée fu
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Ce blog réunit quelques articles des 7 numéros parus de 2010 à 2012.

samedi 1 janvier 2011

Les Rois Mages

Par Philippe Hébert
Georges Rouault, Le vieux roi, huile, 1937 (DR)

Au coeur de l'histoire des Rois Mages, il y a le cheminement vers le signe des étoiles, vers cet infini qu'ils ont entr'aperçus de leur connaissance et qu'ils ont suivi, ouvrant la possibilité de la contemplation.


LEncyclopaedia Universalis donne du mot mage la définition suivante : « Nom des membres d’une tribu mède (selon Hérodote) à qui l’ensemble de la tradition grecque attribue l’exclusivité du pouvoir sacerdotal en Iran. Le mot “mage” (en iranien maga) apparaît en Occident, à partir des premiers siècles de notre ère, comme un synonyme de “sectateur de Zoroastre” et de “servant du culte d’Ahura Mazdâ”. D’autre part, les auteurs classiques voient dans les mages des sorciers et des devins, au point que tout ce qui relève des pratiques occultes prend le nom de “magie” (le mot est employé par Platon). »
La venue de mages en provenance d’Orient pour adorer Jésus nouveau-né nous est rapportée dans l’Évangile de Matthieu en ces termes :
« Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem en disant : “Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage.” L’ayant appris, le roi Hérode s’émut, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple, et il s’enquérait auprès d’eux du lieu où devait naître le Christ. “À Bethléem de Judée, lui dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre des clans de Juda ; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël.” Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l’apparition de l’astre, et les envoya à Bethléem en disant : “Allez vous renseigner exactement sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avisez-moi, afin que j’aille, moi aussi, lui rendre hommage.” Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. À la vue de l’astre ils se réjouirent d’une très grande joie. Entrant alors dans le logis, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays. » (Mt 2, 1-12)

Ce texte ne dit nullement que les mages étaient au nombre de trois, ni qu’ils étaient rois. C’est Origène (185-254) qui, le premier, fixe leur nombre à trois en se basant sur les trois présents (or, encens, myrrhe). Plusieurs Pères de l’Église (Tertullien, saint Ambroise, saint Cyprien...) vont par la suite attribuer aux mages le titre de roi, voyant dans cette venue des mages la réalisation de l’annonce faite dans le psaume 72 : « Les rois de Tarsis et des Îles rendront tribut/ Les rois de Saba et de Seba feront offrandes/ Tous les rois se prosterneront devant lui/ Tous les païens le serviront. » (Ps 72, 10-11) Enfin, au XIIIe siècle, Jacques de Voragine indiquera dans sa Légende Dorée (I, 148) les noms grecs de ces trois mages : Gaspard, Melchior et Balthazar. Dans la tradition iconographique,Gaspard est représenté comme un jeune homme aux traits asiatiques offrant à Jésus l’encens, Melchior, comme un roi de Perse offrant l’or et enfin, Balthazar, le plus vieux, à la peau noire, offrant la myrrhe.
Sur le plan symbolique, on attribue à chacun des présents offerts par les mages la reconnaissance que Jésus est l’unique Grand Prêtre (encens), qui réalisera en se donnant lui-même sur la croix le sacrifice parfait qui établit les hommes en communion avec Dieu. Jésus est aussi le prophète ultime annoncé par Moïse (myrrhe) et le véritable roi d’Israël issu de David (or). Prêtres, prophètes et rois sont les trois autorités qui ont été chargées de conduire le peuple d’Israël au long des siècles de l’histoire du salut. Les prêtres, les prophètes et les rois de l’Ancien Testament ne faisaient que préfigurer l’autorité de Celui qui viendrait établir le Royaume de Dieu parmi les hommes.

Les mages, avant d’être considérés comme des sorciers ou des devins, ou même des rois, selon la tradition, sont d’abord des sages, des savants. On peut, comme Philon d’Alexandrie, voir en eux des astrologues perses chargés de prédire la naissance et la mort des rois d’après les astres, mais fondamentalement, ces mages sont d’abord des amis de la sagesse, des hommes « à la recherche du droit, de la justice qui devait venir de Dieu », comme le disait Benoît XVI aux jeunes rassemblés pour les JMJ de Cologne en
2005. Leur pèlerinage et leur rencontre avec Jésus offrent une belle illustration de la rencontre féconde de la foi et de la raison.
L’étoile mystérieuse qui guide les mages est une image de la lumière qui vient éclairer la conscience, « le centre le plus secret de l’homme et le sanctuaire où il est seul avec Dieu dont la voix se fait entendre dans ce lieu le plus intime » (Gaudium et Spes, 16). Mystérieusement, Dieu guide tout homme en recherche de la vérité. Jésus dira : « Tout homme qui est de la vérité écoute ma voix. » (Jn 18,37) La raison de l’homme qui cherche la vérité rencontre une étoile, comme les mages. Mais tant qu’ils ne font que suivre de loin l’étoile, les mages ne sont pas encore véritablement dans une démarche de foi.

En conscience, l’homme rationnel peut affirmer l’existence d’un Dieu sans le secours d’aucune révélation. C’est le postulat des philosophes antiques qui constatent simplement l’ordre cosmique et en déduisent qu’une intelligence supérieure a nécessairement dû présider à son émergence et à son ordonnancement. Mais ils ne peuvent aller plus loin. L’investigation de la raison a ses limites. Elle ne peut rien dire par elle-même quant à l’identité de ce Dieu dont elle affirme l’existence. La raison a besoin d’être éclairée par la révélation.En bonne logique, ayant appris la naissance d’un roi en Judée, c’est au palais du roi, à Jérusalem, que les mages se rendent. Là-bas, ils vont entendre le témoignage des Écritures qui leur révéleront que ce roi est né à Bethléem. En recevant ce témoignage avec foi, les mages découvriront que la lumière de l’étoile se fait plus précise et qu’elle va jusqu’à leur indiquer l’endroit exact où est né l’enfant.
Les bergers auront eu le témoignage des anges venus leur annoncer la naissance du Sauveur d’Israël, mais pour les mages rien de tel. L’acte de foi qu’ils ont posé envers les Écritures et l’étoile leur suffisent à reconnaître, dans cet humble enfant dépouillé de tous les attributs extérieurs des rois, celui qu’ils sont venus adorer. Et ils ont accepté que leur raison en soit transfigurée. Dieu nous a donné une intelligence pour que nous puissions nous mettre en marche à sa rencontre et que nous nous laissions guider par lui au-delà de ce que notre raison n’aurait jamais pu imaginer.
Foi et raison sont comme « les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité » (Jean-Paul II, Fides et ratio, introduction).

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