Tadeusz Kantor en répétition. DR |
par Philippe Sers
Dans ce texte concis et d'une rare clarté, Philippe Sers expose comment l'art peut être "une expérience décisive du vrai (...) et un instrument d'organisation du monde". Cependant, nos critères d'évaluation d'une oeuvre d'art sont souvent vagues. Comment la reconnaître? Comment les réaliser?
La reconnaissance publique d’une œuvre ou d’un
artiste n’est pas un critère fiable car elle est souvent due à des logiques de
marché voire à des stratégies idéologiques.
La césure culturelle ne se fait pas entre l’élite et
le peuple, mais entre ceux qui pratiquent l’attention requise par l’œuvre
(regard ou écoute spirituelle) et les autres qui se contente d’un douillet
endormissement (hypovigilance métaphysique).
Le passeur n’est pas celui qui diffuse la culture,
mais celui qui pratique le discernement éclaircissant le rapport de l’œuvre à
la valeur, et donc forme les autres à cette attention.
La qualité d’une œuvre est liée à la façon dont elle
met en rapport la personne avec les valeurs de vérité, justice, beauté.
L’interprétation permet d’identifier en elle cette fonction qui constitue sa
cohérence interne, confirmée la plupart du temps par le récit des intentions de
l’artiste. Le chef-d’œuvre ne se définit donc ni par la virtuosité, ni par la
réception sociale, mais en fonction d’une axiologie matérielle déterminant les
valeurs apportées par l’intention et la réalisation de l’œuvre.
Ce principe nous écarte de l’idée formaliste d’un
art fonctionnant comme un système d’identification du groupe social ou comme
instrument de communication interne à ce dernier, car cette idée conduit en
effet à l’indifférence à la valeur, à un relativisme abandonnant toute
appréciation de l’œuvre à sa valeur reconnue sanctionnée par sa valeur
d’échange, évaluation par l’abstraction monétaire, valeur universelle qui se
veut valeur absolue.
À l’opposé nous reconnaissons que l’art peut
fonctionner par exemple dans le domaine de l’anthropologie de la même manière
que les mathématiques dans le domaine des sciences de la nature. C’est à partir
de l’atelier et de sa recherche libre que peuvent se penser la maison ou la
ville, en bref l’environnement des hommes, non pas seulement en termes de
beauté, mais sous l’angle de la rigueur éthique et de l’épanouissement
spirituel. Ainsi, à travers la création artistique (et à certaines conditions)
le donné visuel et auditif organisé en une composition spécifique peut devenir
le support d’une expérience décisive du vrai et, partant, un instrument
d’organisation du monde.
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