![]() |
Clock, Ulla Rousse 2010 (DR) |
Par Philippe Hébert
"Vanité des vanités, tout n'est que vanité..." Le livre de Qohelet est connu pour sa description de la fragilité de la condition humaine. Au-delà d'un regard cynique, c'est bien plutôt une démarche vers la sagesse que l'auteur du Qohélet entreprend, faisant de la joie un des thèmes les plus importants de son écrit.
« Vanité
des vanités, tout est vanité. » (Qo 1,2) C'est
par ces paroles bien connues que commence le livre de Qohelet, également appelé l'Ecclésiaste, en grec, qui
signifie « l'homme de l'assemblée ». Ce nom est celui par lequel se
désigne lui-même l'auteur de ce livre particulier de l'Ancien Testament.
L'homme est un laïc, sans doute un riche aristocrate de Jérusalem, si l'on en
juge d'après la manière dont il considère le monde. Le livre, lui, appartient
au corpus des écrits sapientiaux et daterait de 300 à 250 avant JC.
Ce livre
occupe une place singulière dans les Ecritures. D'abord, contrairement à
d'autres écrits de sagesse, il ne parle jamais du Temple et ne semble pas
évoquer la perspective d'une quelconque résurrection. Il n'y a pas d'espérance
après la tombe. Mais surtout, fait extrêmement singulier, Qohelet ne se réfère
jamais à Moïse, à l'histoire du Salut ou à la Loi. Au fond, son approche est
plus philosophique que théologique. Sur le plan de la méthode, Qohelet reprend
d'ailleurs les étapes traditionnelles de la réflexion sapientielle : observer
le monde, réfléchir pour en trouver le sens et en tirer une leçon. Nous avons ici une réévaluation de la sagesse
traditionnelle juive à partir de la pensée grecque, avec une influence notable
des philosophes sceptiques. L'auteur s'efforce de présenter les vérités de la
foi juive par un autre biais ; il aborde par exemple le thème de la création
sous un angle purement rationnel.
La vérité
existe mais personne ne peut l'atteindre (cf. Qo 7,23). Le sage qui prétend la
détenir est un menteur (cf. Qo 8,16-17). Il n'est de connaissance
qu'expérimentale. Ce qui dure, c'est la terre. L'homme, lui, est très éphémère
et ses actions sont sans valeur. La vanité, dont il est question si fréquemment
dans le livre de Qohelet, signifie que tout est vent, souffle – c'est le sens
du mot vanité en hébreu – c'est à dire sans consistance. Tout ce qui fait la
vie des hommes n'est que la répétition de ce qu'ont vécues les générations
précédentes. « Il n'y a pas de profit sous le soleil » (Qo 2,11).
Tout ce qui a fait la vie des hommes sous le soleil (durant les jours de leur
vie terrestre), tout cela sera oublié et donc vain. La recherche du profit par
le travail est particulièrement stigmatisée, car l'homme ne vit pas assez
longtemps pour profiter du fruit de son travail.
Le thème de la
joie est paradoxalement le plus important du livre. La joie vient s'opposer à
la logique travail/profit. Elle seule vaut la peine
de vivre et propose une voie autre que l'impasse de la vanité qui mène au
désespoir. On retrouve sept refrains identiques qui structurent le livre en
insistant sur la joie[1]. Mais cette
joie est dans l'instant présent… et elle passe. La joie de la connaissance de Dieu,
la vision béatifique de Dieu qui fait le bonheur des élus selon saint Thomas
d'Aquin, cette joie-là, comme de celle de l'acquisition de la sagesse, est
inaccessible selon Qohelet. Dieu est incompréhensible. L'homme est
contraint de se débrouiller par lui-même. Toute chose est adaptée à son temps
par Dieu, mais l'homme est incapable de comprendre l'ensemble du plan de Dieu.
Il lui faut seulement comprendre que toute chose que Dieu fait en son temps est
bonne et s'efforcer d'y trouver la joie. Avec cette joie, la crainte de Dieu
est la deuxième attitude que Qohelet recommande. C'est l'affirmation la plus
forte du sens religieux de l'homme. Il faut se méfier des grands discours sur
le sens de la vie : « Qui sait ce qui convient à l'homme pendant sa
vie, tout au long des jours de vanité qu'il passe comme une ombre ? Qui
annoncera à l'homme ce qui doit venir après lui sous le soleil ? » (Qo
6,12) La place de l'homme est dans l'humilité, car Dieu seul connaît le
sens de toute chose.
« La
sagesse est bonne comme un héritage, elle profite à ceux qui voient le soleil
(…) J'ai dit : '' je serai sage '', mais c'est hors de ma portée. » (Qo
7,11.23)
« J'ai
observé toute l'oeuvre de Dieu. L'homme ne peut découvrir toute l'oeuvre qui se
fait sous le soleil ; quoique l'homme se fatigue à chercher, il ne trouve pas.
Et même si un sage dit qu'il sait, il ne peut trouver. (Qo 8,17) »
Davantage
qu'un livre de révélation sur Dieu, le livre de Qohelet nous révèle l'homme en
attente de Dieu. Tout est vain pour l'homme livré à lui-même. S'il ne peut
accéder à la sagesse de Dieu, sa vie perd toute consistance. Il en va de même
pour l'artiste. S'il ne peut exprimer autre chose que sa propre subjectivité,
s'il ne peut témoigner d'un absolu qui le dépasse et donner à voir l'invisible,
alors son oeuvre est vaine. Heureusement pour nous, tout ne s'arrête pas à
Qohelet.
En
Jésus-Christ, la sagesse de Dieu est venue se révéler elle-même aux hommes.
Bien plus, par le don de l'Esprit-Saint, l'intelligence des disciples a été
renouvelée pour qu'ils puissent entrer dans la connaissance de Dieu ; leur
esprit a été accordé à la sagesse de Dieu. Jésus a confirmé la justesse de
Qohelet quant à l'inaccessibilité de la sagesse de Dieu pour les hommes : « Personne
ne connait le Père, si ce n'est le Fils », dit-il à ses disciples.
Mais il ajoute : « et celui à qui le Fils veut bien le
révéler. » (Mt 11,27)
Le monde de
l'art, comme on l'appelle pompeusement, peut sembler parfois un cortège de
vanités fait pour la jouissance des vaniteux. Quoi de plus absurde que de
parler d'artistes « reconnus » qui « se vendent bien » ?
Reconnus par qui ? Selon quels critères ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire